Les Lois de l’Attraction (The rules of Attraction)

 

Un film de Roger Avary

 

Adapté du roman éponyme de Bret Easton Ellis

 

Avec James Van Der Beek, Shannyn Sossamon, Kip Pardue, Jessica Biel, Ian Somerhalder, Clifton Collins Jr., Thomas Ian Nicholas, Kate Bosworth, Russell Sams, Eric Stoltz, Faye Dunaway…

 

 

Bret Easton Ellis est un écrivain difficile à adapter, en témoignent les adaptations plutôt ratées d’American Psycho et de Less Than Zero. S’attaquer à son livre culte Les Lois de l’Attraction était extrêmement risqué, mais Roger Avary, qui a co-écrit le scénario de Pulp Fiction s’en tire avec un brio extraordinaire.

 

Nous verrons un plus loin une comparaison entre le livre et le film, les différences qu’il y a entre les deux œuvres.

 

Les Lois de l’Attraction raconte l’histoire de trois jeunes étudiants Sean Bateman, Lauren Hynde et Paul Denton, sur le campus de Camden au début des années 90.

 

Entre alcool, drogue, sexe, le quotidien de ces trois étudiants va être intimement lié.

 

Résumer le film est difficile. Car Roger Avary éclate le récit de telle manière qu’il s’assemble de lui-même, dans une logique certaine mais désordonnée. C’est là une de ses premières qualités. Car le récit est raconté pour une grande part en voix-off, celle des trois personnages, qui relatent leur perception des événements, des gens et des choses qui les entourent.

 

Commençons, à tout seigneur tout honneur, par Sean Bateman.

 

Petit frère de Patrick Bateman (American Psycho), auquel il est d’ailleurs fait référence le temps d’une scène, Sean est un étudiant fauché, dont les parents sont paysans, qui étudie grâce à une bourse d’études, qui deale de la drogue pour les gosses de riches de la faculté de Camden. Il boit et se drogue quasiment en permanence et se définit lui-même comme un « vampire émotionnel, à la recherche de sa prochaine proie », aime le sexe sans amour, et qui tombe amoureux de Lauren Hynde, étudiante vierge et différente de toutes les autres filles qu’il connaît et avec qui il couche. Et une inconnue lui laisse des mots doux dans sa boîte aux lettres…

 

Lauren Hynde : étudiante en poésie, qui sait s’amuser mais qui a du mal à renoncer à son ancien petit ami Victor, partit en Europe pour en faire le tour. Vierge, elle n’ose pas se lancer et elle est pourtant attirée par Sean Bateman, dealer et du genre très instable.

 

Paul Denton : il est gay, et accessoirement ex de Lauren, il aime s’amuser lui aussi, est riche mais voit rarement ses parents. Il jette son dévolu sur Sean Bateman, dont il essaye de devenir l’ami, voire plus.

 

L’action est principalement située autour des fêtes du campus, qui porte les noms charmants de « Dressed to get screwed » ou encore « The End of the world ». Ces parties sont des lieux de débauche complets, qui sont la raison et le mode de vie des étudiants américains. Tout le monde s’y retrouve pour l’alcool, la musique, le sexe, la drogue.

 

Les trois personnages vont se croiser et se frôler tout au long du film, sans que l’un d’eux pourtant n’atteigne réellement l’autre.

 

Easton Ellis, et donc Avary, saisissent ce qui est ou fut la vie des campus américains des années 80-90, et ce qui a encore lieu également lors du spring break. L’Amérique ultra-puritaine et chaste se permet toutes les folies au nom de la vie estudiantine, comme une parenthèse ouverte et refermée à la fin des études, comme si rien ne s’était passé. Mais au-delà de ce simple constat, le film s’attache à beaucoup d’autres sujets. La solitude, l’apprentissage, l’affirmation de soi, la sexualité, la vie, la jeunesse, dorée ou pas, et le difficile passage à l’âge adulte. Là où toutes les règles sont rejetées, où elles n’existent plus, où la méchanceté, le dédain et l’ignorance sont légion.

 

C’est cette errance que saisit Avary, ses regards perdus, dans le flou, drogués ou alcoolisés.

 

Afin de pouvoir mettre en scène l’œuvre kaléidoscopique de Bret Easton Ellis, Avary a utilisé un montage et une mise en scène qui sont des modèles du genre et mériteraient l’analyse de tous les étudiants en cinéma.

 

Dès l’ouverture du film, Avary utilise une technique qu’il va répéter plusieurs fois, celle du ‘retour en arrière’, une scène débute et se termine, puis une pause est effectuée, et la scène repart dans le sens inverse. Cela demande énormément de rigueur au niveau du script puisque la même scène doit être rejouée plusieurs fois sous des angles différents tout en gardant sa continuité et les détails si nombreux qui la compose ici, puisque des dizaines de personnes se trouvent dans le cadre.

 

Inutile de dire qu’Avary, qui a co-écrit Pulp Fiction avec Quentin Tarantino, s’en sort avec classe et une maîtrise impressionnante.

 

Le générique de début arrive après plus de 10 minutes qui exposent les trois personnages principaux mais également le style du film. D’emblée, une sorte de frisson vous parcourt car vous savez que si le film garde cet esprit, il sera extraordinaire. Et il l’est !!

 

Le film est parcouru d’une sorte de frénésie perpétuelle, parfois bien plus que dans l’œuvre de Bret Easton Ellis, notamment en ce qui concerne la relation entre Sean et son dealer Rupert.

 

Les Lois de l’Attraction est un film d’une richesse énorme, qui joue avec les références au cinéma (extraits de film, étudiants en cinéma…), la musique (une bande originale littéralement monstrueuse avec The Cure, des compositions de TomandAndy, The Raptures, et même Serge Gainsbourg), une musique qui s’intègre et fait partie entière du film puisqu’elle sert aussi, comme le titre « Faith » de George Michael, de base à une scène de danse mémorable, prélude à un dîner plus que mémorable.

 

Une scène vaut à elle seule le détour, celle du « split screen », ce n’est pas une nouveauté en soi, mais la manière dont la scène est construite est excellente. Deux actions simultanées de deux personnages, Sean et Lauren, menant à leur rencontre au terme de la scène lorsque les deux parties de l’écran se rejoignent enfin. Cette scène, au-delà de la technique est extrêmement importante dans l’histoire puisque c’est leur première rencontre et le début de leur histoire commune.

 

D’autres grands moments dans le film, le voyage de Victor en Europe, impressionnant tour d’Europe sous drogue et alcool, filmé et monté à toute vitesse ; le dîner entre Paul Denton, sa mère, une amie de sa mère et son fils, gay lui aussi et longue connaissance de Paul, dans un dîner qui va être mémorable grâce à Richard « Dick » Jared et son état alcoolique avancé.

 

Jusqu’à la fin et le générique, lui aussi original puisqu’à l’envers, Avary nous entraîne de plus en plus vers les émotions des personnages, en les découvrant complètement, là où les masques se fissurent. Et là, où avait débuté le film, il se termine.

 

Parlons maintenant des dialogues. Si beaucoup sont directement repris du livre de Bret Easton Ellis, Roger Avary a aussi ré-écrit une grande partie des dialogues, voire à en créer de nouveaux pour de nombreuses scènes. Ces dialogues, acerbes, méchants, drôles, affûtés, rendent certaines scènes remarquables : la scène du restaurant (« my name’s Dick), entre Lauren et Sean (I did it with her because I’m in love with you »), ou le récurrent motto de Sean « Figure it out. Deal with it », ou encore « Rock’n’roll »… Et ce n’est qu’une infime partie des excellents dialogues du livre et du film.

 

Si la forme du film apporte beaucoup à sa qualité et son impact, de par son visuel unique, son montage nerveux, précis, le fond n’est jamais négligé, l’histoire n’est pas sacrifiée au profit du style.

 

L’interprétation n’est pas en reste, loin de là. Avary a choisi de jeunes comédiens, icônes du public adolescent (James Van Der Beek, Ian Somerhalder…) et de sitcoms populaires pour les dévergonder et casser cette image lisse et trop américaine qu’ils dégageaient.

 

Le choc le plus important est bien sûr James Van Der Beek, l’éternel Dawson de la série Dawson’s Creek, où il incarnait un adolescent passionné de cinéma et gentil en tous points. Une image qu’il casse complètement en incarnant Sean Bateman, ce jeune homme assoiffé de drogue, de sexe et d’alcool, qui vit dans un monde parallèle où il n’est conscient que peu de temps de ses propres sentiments. Une interprétation impeccable pour le jeune comédien qui y a gagné le respect d’une profession parfois ignorante de la télévision.

 

A ses côtés, Ian Somerhalder, Kip Pardue, Jessica Biel, Shannyn Sossamon, Kate Bosworth des jeunes comédiens issus de la télévision ou pour Shannyn Sossamon de la musique, puisqu’elle officiait et officie toujours en tant que Dj lorsqu’elle fût remarquée. Des comédiens épatants et excellents dans leur rôle respectif (Paul, Victor, Lara la roomate de Lauren, Lauren et enfin Kate)

Quelques caméos très drôles : Faye Dunaway, jouant la mère de Paul le temps d’un dîner ; Russell Sams, qui livre une performance mémorable lors du même dîner ou encore Eric Stoltz en professeur « proche » de ses élèves.

 

Un casting extrêmement bien fait, et l’énergie des comédiens est communicative !

 

 

Roger Avary a créé un univers propre au film et a respecté l’œuvre touffue de Bret Easton Ellis tout en la modernisant, effectuant parfois des coupes franches ou réadaptant l’histoire. Le résultat est brillant en tous points, de la mise en scène à la musique, du montage jusqu’aux génériques.

 

Une œuvre qui se regarde des dizaines de fois avec la même intensité, et une découverte permanente de détails dans chaque plan.

 

Un film qui fut moyennement reçu par le public et les critiques, mais qui est un film culte en tous points. The Rules of Attraction a l’impact esthétique, visuel, scénaristique des grands films, une véritable leçon de cinéma orchestrée par un cinéaste en « pleine possession de ses moyens », comme le veut la formule.

 

 

A découvrir si vous ne le connaissez pas encore !

 

 

Arnaud Meunier

06/05/2005

 

 

Du livre à l’écran : The Rules of Attraction

 

 

Bret Easton Ellis est un écrivain dont les œuvres sont complexes, touffues, aux intrigues éclatées. Un univers difficile à transposer au cinéma comme le montrent les échecs consécutifs de ses deux premiers romans Less than Zero et American Psycho. Si le premier passe relativement inaperçu, le second sera remarqué, non pas parce que ce fût un bon film mais surtout à cause de la violence de certaines scènes.

 

En s’attaquant à son œuvre majeure The Rules of Attraction, Roger Avary a pris le pari difficile de faire de l’histoire de ces riches étudiants en pleine débauche un film pertinent, dramatique et drôle à la fois, sur la dégénérescence de la jeunesse américaine, dont les repères disparaissent avec l’entrée en faculté, où tout ou presque est toléré.

 

Lorsque l’on lit The Rules of Attraction, on ne peut s’empêcher de remarquer le brio avec lequel Avary a restitué l’ambiance du livre, cette atmosphère surréaliste et pourtant symbolique.

 

Des différences notables sont à remarquer entre le livre et le scénario.

 

Tout d’abord, Roger Avary a concentré son histoire sur Sean, Lauren et Paul, avec un aparté de Victor, alors que le livre est raconté selon de multiples points de vue (Mitchell, Sean, Lauren, Judy dont le prénom est devenue Lara dans le film, la mère de Paul…). Il aurait été malvenu de conserver l’ensemble de ces points de vue de narration sans alourdir le scénario et par conséquent complètement endormir le film par une voix-off permanente.

 

La période du film est également différente, puisque l’œuvre d’Ellis se situait au milieu des années 80 alors que le film se situe dans les années 90. Une influence évidente compte tenu du choix des musiques, il subsiste tout de même des titres 80’s comme « Situation » de Yaz, « Faith » de George Michael ou encore « Sunday Girl » de Blondie. Mais Avary a respecté l’importance de la musique dans le film en innovant sans dénaturer cet esprit et cette ambiance qui collait au livre.

 

Il a également changé l’histoire de certains personnages. Lauren est dans le film une jeune fille « pure, innocent, she’s a virgin » (d’après Sean), alors que dans le livre elle est semblable à Judy/Lara, sa colocataire, c'est-à-dire encline à partager son corps avec les étudiants masculins. Une différence extrêmement importante et bienvenue puisque ainsi il donne l’argument qui pousse Sean à s’intéresser à elle, cette jeune fille innocente et pure, qu’il aime pour ce qu’elle est et non pas pour le plaisir physique. Avec ce détail très important modifié par Avary, une partie complète du livre est donc occultée, puisque l’histoire entre Sean et Lauren n’a jamais lieu, alors qu’elle existe dans le livre de Bret Easton Ellis. Finalement, la perte de la virginité de Lauren, banalement lors d’une fête, saoule, est la blessure la plus profonde pour Sean.  

 

En ce qui concerne Sean, Sean n’est plus explicitement le frère de Patrick, puisqu’il n’est fait qu’une fois référence à un Patrick dans le film lors d’une scène, sans précision qu’il serait son frère. Par ailleurs, même quand Sean parle à Rupert de sa vie, de ses parents, il ne parle à aucun moment de Patrick Bateman. Dans le livre, outre le contexte social radicalement différent dont est issu Sean, cette relation est importante puisque les deux hommes se détestent, même lorsque leur père se meurt à l’hôpital.

 

Paul reste le même entre le livre et le film, même s’il est plus clair dans le film qu’il est gay et non pas bisexuel. Le livre explique également plus en détail la raison du dîner avec sa mère à Boston, car celle-ci annonce qu’elle va divorcer de son père. La scène du dîner est donc plus longue et importante, elle revient aussi plus en détails sur l’amitié de Richard et Paul, et comment Richard, autre gosse de riche a mal tourné en entrant en fac.

 

Un personnage est mieux développé dans le film : Ruper Guest, le fournisseur de drogue de Sean, avec un caractère et un univers très particulier. La scène où Sean vient chercher de la cocaïne est mémorable, puisqu’elle se termine en bataille rangée avec machette et couteau à découper, avant une fuite en voiture. Et Rupert est affublé d’un ami jamaïcain à l’accent impayable.

 

Le final est également différent, puisque Sean, qui possède une voiture dans le livre, récupérait une auto-stoppeuse. Elle est beaucoup plus symbolique dans le film, où Sean, après avoir aperçu Lauren et Paul sous la neige, s’en va en moto à vive allure, seul sur les routes.

 

Le livre mérite la lecture car il permet de découvrir de multiples intrigues sous-jacentes qui évidemment n’avaient pas leur place dans le film sans qu’elles ne viennent allonger inutilement sa durée et désorienter le récit, qui, bien qu’extrêmement éclaté, est d’une rigueur métronomique.

 

Avary a su exploiter l’essence de l’œuvre, la respecter tout en y ajoutant sa vision personnelle de la vie étudiante américaine (il plongea dans ses propres souvenirs) sans la dénaturer.

On peut même dire qu’il enrichit l’œuvre d’Ellis en lui donnant un regard nouveau et la rendant accessible à une plus large audience. Car si les mots d’Ellis peuvent désorienter, voire perdre puisque le récit est visuel mais difficile à saisir, Avary a créé les images qui rendent ces mots, ces phrases réels.

 

 

Une adaptation heureuse donc, appréciée de l’écrivain. On attend maintenant avec impatience le prochain film de Roger Avary, Glamorama, adapté du roman éponyme de Bret Easton Ellis une nouvelle fois, où le personnage central sera Victor, incarné par le Victor de The Rules of Attraction Kip Pardue !!! Un film très attendu après la première collaboration fructueuse entre le cinéaste et le romancier.

 

 

Arnaud Meunier

06/05/2005